La mélatonine est-elle vraiment efficace pour améliorer le sommeil ?
Le rôle biologique de la mélatonine
La mélatonine est une hormone naturellement produite par la glande pinéale dans le cerveau, principalement en réaction aux variations de luminosité. Sa production augmente lorsque la luminosité diminue (le soir) et baisse lorsque la luminosité augmente (le matin). Ce mécanisme explique son rôle fondamental dans la régulation du cycle veille-sommeil et des rythmes circadiens.
Une explosion commerciale
Ces dernières années, le marché des compléments alimentaires à base de mélatonine a connu une croissance exponentielle, principalement en raison des troubles du sommeil croissants et d'un marketing agressif. En France, entre 2016 et 2024, 1415 nouveaux produits contenant de la mélatonine ont été déclarés, dont 1078 spécifiquement destinés à améliorer le sommeil. Ces produits, vendus entre 10 et 20 euros par mois, promettent un sommeil réparateur sans effets secondaires, bien que ces promesses reposent souvent sur des arguments commerciaux plutôt que sur des preuves scientifiques solides.
Les effets réels de la mélatonine sur le sommeil
La mélatonine possède deux types d'action principaux sur le sommeil :
- Un effet soporifique qui facilite l'endormissement
- Un effet chronobiotique qui régule l'horloge biologique interne
Cependant, les études scientifiques montrent que son efficacité réelle est modeste. Les méta-analyses des recherches disponibles indiquent généralement une réduction de la latence d'endormissement (le temps nécessaire pour s'endormir) d'environ 8 à 10 minutes seulement. Cette amélioration, bien que statistiquement significative dans les études, reste cliniquement limitée pour de nombreux patients souffrant de troubles du sommeil sévères.
Les différentes formes de mélatonine sur le marché français
Libération immédiate versus libération prolongée
La mélatonine est disponible sous différentes formulations galéniques, principalement :
- La mélatonine à libération immédiate : agit rapidement pour faciliter l'endormissement
- La mélatonine à libération prolongée : libère progressivement l'hormone pendant plusieurs heures, visant à maintenir le sommeil tout au long de la nuit
Statut réglementaire et encadrement
En France, une distinction importante existe entre :
- Les compléments alimentaires contenant moins de 2 mg de mélatonine, disponibles sans ordonnance
- Les médicaments contenant 2 mg ou plus de mélatonine, comme le Circadin, qui nécessitent une prescription médicale
La mélatonine n’est pas remboursée par l’Assurance Maladie, sauf dans certains cas précis. Le médicament Slenyto peut être pris en charge à 65 % pour les enfants et adolescents de 2 à 18 ans atteints de troubles du spectre de l’autisme ou du syndrome de Smith-Magenis, en cas d’insomnie résistante.
Pour qui la mélatonine est-elle réellement recommandée ?
La mélatonine est principalement recommandée pour :
- Les adultes de plus de 55 ans : La mélatonine est utilisée pour le traitement à court terme de l'insomnie primaire caractérisée par un sommeil de mauvaise qualité.
- Les voyageurs traversant plusieurs fuseaux horaires : Elle aide à atténuer les effets du décalage horaire en réajustant le rythme veille-sommeil.
- Les travailleurs postés ou en horaires décalés : Elle facilite l'adaptation au changement d'horaires de travail en modulant le cycle veille-sommeil.
- Le syndrome de retard de phase du sommeil : Ce trouble, fréquent chez les adolescents, se caractérise par un endormissement tardif et des difficultés à se lever le matin. La mélatonine peut aider à avancer l'horloge biologique.
Quand faut-il l’éviter ?
L'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (ANSES) déconseille l’usage de la mélatonine, sauf avis médical, chez :
- Les femmes enceintes ou allaitantes
- Les enfants et adolescents
- Les personnes souffrant de maladies inflammatoires ou auto-immunes
- Les personnes épileptiques ou asthmatiques
- Les individus ayant des troubles de l'humeur, du comportement ou de la personnalité
- Les personnes devant effectuer des activités nécessitant une vigilance soutenue, en raison du risque de somnolence
De plus, l'ANSES recommande que l'utilisation de la mélatonine soit limitée à des prises ponctuelles et sous avis médical, notamment pour les personnes polymédiquées ou présentant des affections spécifiques.
Bien que rares, les effets indésirables rapportés incluent somnolence, céphalées, vertiges, migraines et nausées. Il est donc recommandé de consulter un professionnel de santé avant d'utiliser des compléments de mélatonine, notamment en cas de conditions médicales préexistantes ou lors de la prise d'autres médicaments.
Alternatives à la mélatonine : les solutions naturelles pour favoriser le sommeil
Favoriser la sécrétion naturelle de mélatonine
Avant de recourir à des suppléments, il existe des approches non médicamenteuses qui peuvent favoriser la sécrétion naturelle de mélatonine et améliorer la qualité du sommeil :
- Limiter l'exposition aux écrans (téléphones, tablettes, ordinateurs) avant le coucher, car la lumière bleue qu'ils émettent inhibe la production de mélatonine
- Établir des horaires de coucher et lever réguliers
- Créer un environnement propice au sommeil : chambre calme, sombre et à température adéquate
- Éviter les excitants (café, thé, alcool) en soirée
- Pratiquer une activité physique régulière, mais pas trop tard dans la journée
Ces mesures d'hygiène du sommeil, bien que demandant une certaine discipline, sont gratuites et sans effets secondaires.
La thérapie cognitive et comportementale pour l'insomnie (TCCI)
Pour l'insomnie chronique, la thérapie cognitive et comportementale pour l'insomnie (TCC-I) reste le traitement de référence, avec une efficacité supérieure et plus durable que les approches médicamenteuses, y compris la mélatonine. Cette thérapie vise à modifier les comportements et les pensées qui entretiennent l'insomnie, et son efficacité est solidement établie par la recherche scientifique.
Conclusion
La mélatonine possède une efficacité réelle mais modeste, principalement dans des situations spécifiques comme le décalage horaire, les troubles du rythme circadien ou chez certaines populations particulières. Pour l'insomnie chronique, son impact reste extrêmement limité.
Face à la surmédicalisation des troubles du sommeil et à la prolifération des compléments alimentaires contenant de la mélatonine, une approche critique et informée est nécessaire. La mélatonine peut avoir sa place dans l'arsenal thérapeutique, mais elle ne devrait pas éclipser des alternatives plus efficaces, notamment les mesures d'hygiène du sommeil et la TCC-I.
La mélatonine illustre parfaitement comment un phénomène biologique naturel peut être transformé en opportunité commerciale, parfois au détriment d'une information claire et objective. Pour les personnes souffrant de troubles du sommeil, la consultation d'un professionnel de santé reste essentielle pour évaluer la pertinence d'un traitement par mélatonine et explorer l'ensemble des options disponibles.
Par Vincent Garçon, Psychologue spécialisé dans les troubles du sommeil
Sources
- MSD Manuals – Mélatonine (grand public)
- Merck Manuals – Mélatonine (professionnel)
- MSD Manuals – Troubles du rythme circadien du sommeil
- 60 Millions de consommateurs – Sommeil : à quoi sert la mélatonine et comment la choisir ?
- SFRMS – Dossier sur la mélatonine
- PubMed – Efficacité de la mélatonine sur le sommeil : méta-analyse
- PubMed – Étude sur les troubles du rythme circadien (PMID 12013705)
- PubMed – Directives européennes pour le diagnostic et le traitement de l'insomnie (PMID 28875581)
- PubMed – Mélatonine et troubles du rythme circadien du sommeil : Recommandations de la SFRMS (PMID 33446328)
- Vidal – Fiche médicament : Circadin
- Ameli – Slenyto : augmentation des prescriptions hors indication
- Vidal – Mélatonine et risques selon l’ANSES
- ANSES – Avis sur la sécurité des compléments alimentaires contenant de la mélatonine (2016)
- Wikipédia – Rythme circadien